Ainsi soient-ils : une imposture ?

Ainsi soient-ils - Mgr Poileau - Jacques Bonnaffé

Dans Ainsi soient-ils, Mgr Poileau (Jacques Bonnaffé), archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, dépeint comme débile (mais c’est ce l’humour, paraît-il), et surnommé « Lambda » par une organisation secrète officiant au sein du Vatican…

Alors qu’Ainsi soient-ils saison 3 débarque jeudi soir sur Arte, nous publions ici une critique de TV Magazine dans laquelle la journaliste Isabelle Nataf soulevait le problème de départ de la série, se demandait si c’était « une bonne idée ou une provocation ». C’était en 2012. Elle concluait qu’il s’agissait d’une « imposture » décrite ainsi : «  mettre à la place du christianisme ce qui n’est pas le christianisme ». Force est de constater qu’à l’aube de la saison 3, l’imposture a perduré, quitte à « densifier » le propos (dossier de presse d’Arte pour cette ultime saison, avancée comme « culte » par la chaîne franco-allemande).

Ainsi soient-ils : une imposture

Drôles de séminaristes

Une série sur des séminaristes. Le sujet a de quoi surprendre. Faut-il s’attendre à une fiction rébarbative ou à un collier de clichés sur les scandales qui rythment l’Église catholique ? Une bonne idée ou de la provocation ?

« Si nous avons choisi d’ancrer notre fiction dans cet univers, c’est avant tout parce qu’il y avait énormément de choses à raconter », expliquent les scénaristes de cinéma Vincent Poymiro (Plein Sud) et David Elkaïm (Henaut Président). « Elle nous permettait d’expliquer comment de jeunes hommes choisissaient de s’engager d’une façon si radicale au risque d’être en totale contradiction avec le monde moderne. »

À l’origine de ce projet, en 2007, le producteur Bruno Nahon (Zadig Productions). « Les représentants de l’Église dégagent un charisme qui me fascine depuis l’enfance, dit-il. J’ai pensé que de jeunes séminaristes feraient des personnages intéressants, car porteurs de conflits, en eux-mêmes et vis-à-vis des leurs. »

Bruno Nahon se tourne alors vers les deux scénaristes, tous trois peaufinent l’idée et la proposent au responsable de la fiction d’Arte d’alors, François Sauvagnargues. Et si, au début, « les mines étaient abattues devant un tel sujet », comme se souvient David Elkaïm, rapidement le concept fait son chemin et Arte accepte la série. Judith Louis, actuelle directrice de la fiction d’Arte, poursuit le développement.

Les deux scénaristes commencent alors un travail de documentation et s’adjoignent les conseils de deux prêtres, un ancien et un encore en exercice. « N’étant ni catholique ni croyant, j’ai dû lever le voile sur un monde qui m’était inconnu, explique David Elkaïm. Même s’il se considère comme athée, Vincent Poymiro vient, lui, d’une famille très catholique. Nos discussions ont été fructueuses. » Durant la préparation du tournage, les acteurs qui le désiraient ont suivi des messes, une cérémonie de réconciliation et ont pu demander leur avis aux séminaristes figurants et aux conseillers.

Les auteurs ont choisi de mettre les conflits au coeur d’Ainsi soient-ils, dont les premiers épisodes ont été réalisés par Rodolphe Tissot. Conflits intérieurs dans la vie quotidienne des séminaristes, conflits de points de vue entre les candidats à la prêtrise ; conflits de pouvoir au sein de la hiérarchie de l’Église entre le responsable du séminaire, le père Fromanger (Jean-Luc Bideau, excellent) aux idées progressistes, et son supérieur, l’ambitieux Mgr Roman (Michel Duchaussoy). On découvre que les séminaristes ne sont pas des béni-oui-oui coincés dans une vie monacale mais des jeunes gens ouverts sur le monde, pas si différents des camarades de leur âge. « Nous n’avons eu aucune envie de polémiquer ni de provoquer mais d’explorer ce monde multiple », expliquent les scénaristes. Certains s’offusqueront de l’image renvoyée par la hiérarchie de l’Église, plus convenue, mais elle ne devrait pas faire de l’ombre à ce travail.

Décryptage

Ainsi soient-ils. Mais ils ne sont pas ainsi. Cette série travestit les séminaristes et leur Église catholique. Ils en ont l’habit mais pas l’esprit. Encore moins « l’Esprit » qui est censé mouvoir les corps et les âmes de ces hommes de Dieu. Ils sont tous profondément marqués par une tristesse abyssale sauf quand des sans-papiers envahissent le séminaire.

Non seulement cette série travestit une réalité mais elle est une antithèse du christianisme puisque son ressort n’est pas l’amour pour le Christ mais la volonté humaine. Ces jeunes hommes ne sont pas des apprentis chrétiens mais des apprentis stoïciens qui, par leur propre volonté, vont tenter d’atteindre un idéal.

Pas étonnant donc que la plupart échouent face aux tentations de la vie. L’ancien meurtrier converti va finir, poings liés, avec deux balles dans le dos. Le jeune scout angélique avec une bonne dose de drogue dans le lit d’une rockeuse. Le jeune homme riche de bonne famille dans celui de la femme de son meilleur ami. Le jeune Noir dans la chambre de son ami séminariste.

Quant au niveau « supérieur », ce n’est pas le sexe mais le pouvoir brutal de prélats sans scrupule, l’appétit de l’argent, la déchéance alcoolique qui rongent prêtres, évêques et cardinaux.

La caricature à l’extrême et la puérilité du scénario atteignent leur paroxysme quand apparaît le pape : un débile en survie grâce aux camomilles d’une religieuse marâtre. Et ce n’est pas moralisme étroit que de critiquer sur ce plan cette série dont le moteur est précisément le scandale, une rupture, entre un idéal de vie fondé sur le renoncement au monde et ses trois tentations, sexe, pouvoir, argent.

Ce sont là, après tout, les ingrédients de toute fiction. Le problème vient d’un malentendu sur ce qu’est vraiment le christianisme. D’où l’imposture : mettre à la place du christianisme ce qui n’est pas le christianisme.

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