Souvenirs du séminaire du père Eric Iborra

Souvenirs du séminaire du Père Eric Iborra, prêtre du diocèse de Paris, ordonné en 1989, vicaire à la paroisse Saint Eugène, enseignant au Collège des Bernardins et au Séminaire de la Fraternité sacerdotale Saint Pierre.

Ordonné prêtre en juin 1989 par le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, je suis entré au séminaire pour ma formation sacerdotale en septembre 1982, à l’issue de mes études profanes (droit, sciences économiques à l’Université de Paris II et Sciences-Po à Paris) et de mon service militaire.

L’archevêque initiait alors une nouvelle filière de formation pour ses futurs prêtres. Avec trois autres camarades, tous prêtres aujourd’hui, je fus envoyé trois ans à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, pour y effectuer mon premier cycle au Séminaire Saint-Paul, tenu par une équipe remarquable de prêtres sous la direction de l’abbé Léonard, devenu depuis archevêque de Malines-Bruxelles, et pour étudier la philosophie à la faculté dont le même abbé Léonard était une figure de premier plan, spécialiste de la pensée du philosophe idéaliste allemand Hegel. J’ai particulièrement goûté la haute tenue de l’enseignement dispensé à l’époque par une équipe de professeurs de qualité dont beaucoup étaient prêtres. C’est à Louvain que je suis entré dans la pensée philosophique de saint Thomas d’Aquin, le grand docteur médiéval, grâce, tout particulièrement, aux cours de l’abbé Léonard qui enseignait alors la morale et la métaphysique. L’ambiance au séminaire, qui comptait surtout des étudiants belges, était détendue et cependant studieuse. L’exemple des prêtres du séminaire, dont plusieurs étaient professeurs à l’Université, exerçait un tel ascendant qu’ils n’avaient pas besoin de faire acte d’autorité : leur autorité était naturelle et le règlement observé sans crispation. Moi qui pendant mes études avais vécu chez mes parents je découvrais dans cette ambiance communautaire un précieux stimulant intellectuel : conversations enfiévrées sur toutes sortes de thèmes philosophiques et théologiques dans un grand climat de liberté. La situation de l’Université en plein cœur de la campagne wallonne nous permettait de nous détendre agréablement dans la forêt voisine.

La maîtrise de philosophie en poche, je fus envoyé ensuite cinq ans à l’Université Pontificale Grégorienne, à Rome, pour y effectuer mon second cycle au Séminaire Pontifical français, tenu à l’époque par les Pères Spiritains. Au séminaire, qui comptait alors 80 étudiants, surtout français, régnait une atmosphère elle aussi détendue sagement régulée par les Pères, pour la plupart vieux missionnaires d’Afrique. Nos cours de théologie avaient lieu à l’Université des jésuites qui rassemblait plusieurs milliers d’étudiants venus de plus de cent pays, avec un corps professoral tout aussi international, la langue commune étant l’italien. A côté des cours, surtout de spécialisation en licence, donnés par des jésuites chevronnés au sommet de leur discipline (d’autres, je le reconnais, étaient moins brillants, conséquence des vides creusés dans les rangs de la Compagnie au lendemain du Concile), j’ai pu goûter à ce qui fait la particularité de Rome pour un clerc : être au cœur de la catholicité, tant dans sa profondeur historique que dans son extension géographique : avec les gens qui travaillent à la Curie et dans les nombreux maisons généralices d’Ordres religieux, avec le flot incessant des pèlerins, découvrir, notamment à l’occasion de grands événements, comme les synodes d’évêques (1985 par exemple), la dimension internationale de l’Église, multitude de peuples, de langues et de nations. Découvrir aussi, à travers l’extraordinaire richesse architecturale de la ville, l’épaisseur historique de l’Église : la foule des saints qui y ont vécu, à commencer par les apôtres Pierre et Paul, et le socle gréco-latin de notre culture occidentale. La proximité avec le Pape, à l’époque Jean-Paul II, que j’ai pu rencontrer plusieurs fois avec le séminaire, apportait bien sûr une dimension très forte, de communion hiérarchique affective et effective.

En conclusion, j’ai passé huit années passionnantes hors des frontières, plongé à chaque fois dans une culture nationale européenne différente. Mes études m’ont beaucoup intéressé, et elles m’ont permis aussi de relire celles que j’avais faites auparavant, trop dépourvues de bases philosophiques et religieuses. La vie en commun au séminaire, par-delà les affinités ou les inimitiés, était empreinte de charité, c’est-à-dire d’attention à l’autre. Elle était également très stimulante pour l’esprit et réconfortante dans les inévitables petits passages à vide que l’on peut éprouver à un moment ou à un autre. Ce climat à la fois studieux, détendu et ouvert m’a permis de confirmer l’appel à la vie sacerdotale que j’avais reçu à l’âge de 20 ans. D’une manière générale, j’ai été beaucoup plus édifié par ce que j’ai pu voir de mes formateurs et de mes confrères que le contraire et cela a certainement contribué à la maturation de ma vocation. C’est avec gratitude que je repense à mes professeurs dont beaucoup sont décédés et dont certains ont été distingués par Benoît XVI, dont j’ai pu d’ailleurs à l’époque apprécier de près la grande simplicité alors qu’il présidait aux destinées de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

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